Pascal Picq, paléoanthropologue et maître de conférence au Collège de France, a participé, le 17 novembre 2017, a une conférence organisée par OasYs Mobilisation sur le thème : « Management et neurosciences ». Sa participation a porté sur l’évolution du cerveau en relation avec l’évolution sociale, l’invention et l’usage d’outils et la créativité. « Aussi les aspects plus physiologiques, comme les relations entre nos capacités cognitives, la marche et notre microbiote. Ma particpation repose sur les corrélations bien établies entre le cerveau et ces différents facteurs, mais ne s’intéresse pas aux mécanismes cérébraux et cognitifs en tant que tels », précise-t-il.
Elles peuvent permettre, dans un premier temps, de réévaluer les méthodes de management au regard des acquis des sciences cognitives. Les neurosciences ou, avant qu’elles ne prennent ce nom, les sciences du cerveau et même la psychologie ont toujours influencé l’apprentissage, les formations et les conditions de travail, la conduite des femmes et des hommes. Il suffit de penser au behaviorisme et à sa boîte à outils, comme le conditionnement, le renforcement, la récompense… Cette école, qui a encore ses adeptes, ne s’intéresse pas à ce qui se passe dans le cerveau, considéré comme une boîte noire. Elle correspond à une époque où les femmes et les hommes étaient au service des machines et des moyens de production.
Depuis, il y a eu à la fois l’essor des sciences cognitives – on est rentré dans la boîte – et l’évolution de l’ensemble du monde économique et social vers la recherche de meilleures conditions de travail, de créativité et d’innovation pour tous les métiers. La situation s’est donc inversée : on est passé du conditionnement contraignant le cerveau à « comment les capacités cognitives peuvent favoriser l’innovation ».
Je ne vous cache pas mon irritation avec tous ces coachs autoproclamés qui proposent des quêtes de sens et de bonheur, comme si le travail était de toutes les façons une aliénation, une subordination contractuelle non amendable et qu’il fallait prendre sur soi pour le réenchanter. Le travail, au sens de mode d’action sur le monde, est une caractéristique de l’Homme. Mais nous traînons cette ambiguïté entre le travail libérateur d’Engels et le travail aliénant de Marx, un terreau fertile pour les approches « psy ». Le travail fait partie de la condition humaine et les neurosciences nous apprennent que donner du sens passe par la définition d’objectifs partagés – pas l’exécution fragmentée – et l’adhésion par consentement. Il s’agit moins de « techniques » comme dans le cas du béhaviorisme que de mises en oeuvre prenant en compte nos capacités cognitives. L’une des caractéristiques de la cognition est, entre autres, la plasticité par exemple et la capacité d’apprendre tout au long des âges de la vie. C’est autre chose que les poudres de Perlimpinpin du « réenchantement ».
Je ne saurais vous dire. Mais cela fait quelques années déjà que de nombreux cabinets de conseil en management proposent du management cognitif, du neuro-management, etc. Il y a beaucoup de livres autour de ce sujet, le plus souvent sous forme de livres de recettes plutôt indigestes et mal digérés. Il y a un effet de mode, certes, mais aussi un réel besoin pour mieux adapter les entreprises et leurs acteurs aux changements en cours. Le problème est que les personnes telles que Pierre-Marie Lledo, directeur de recherche à l’institut Pasteur et au CNRS, quelques collègues et moi-même intervenons dans des conférences et des tables rondes – disons la plupart du temps sur une scène – sans savoir ce qui se passe ensuite au sein des entreprises. En fait, nous ne sommes ni coachs, ni consultants. Ce n’est pas notre métier et nous n’en avons pas le temps. C’est donc l’intérêt de ce séminaire (une journée d’échanges organisée, ce 17 novembre, par OasYs Mobilisation sur le thème : « Management et neurosciences », ndlr). Mettre en relation des « sachants » avec des personnes plus engagées dans la transformation des entreprises – privées, publiques, collectivités – et connaissant mieux que nous les besoins des entreprises. Cela s’appelle une communauté de compétences et, comme je l’évoquerai, les sociétés les plus intelligentes sont celles où différentes compétences se rencontrent dans des groupes avec de nombreux acteurs. C’est de l’intelligence.
C’est une question légitime qu’on aurait dû se poser du temps du conditionnement au travail et dans les écoles. Je pense aux temps modernes de Charlie Chaplin ou à la Condition de l’Homme moderne d’Hannah Arendt. Comme esquissé précédemment, s’appuyer sur les neurosciences et les sciences cognitives consiste à construire un management qui prend en compte les connaissances sur nos capacités cognitives afin « d’augmenter » les performances, non pas d’un point de vue quantitatif, mais qualitatif. Tous les métiers et leurs tâches ne requièrent pas les mêmes aptitudes cognitives. De ce fait, de nouvelles questions d’éthique se posent, à condition de ne pas les confondre avec celles de nouvelles conditions de travail, comme le harcèlement numérique, par exemple. Les conditions de travail, les métiers et leurs tâches changent très vite sous l’impulsion de la révolution numérique. Les sciences cognitives nous montrent, qu’en moyenne évidemment, les cerveaux des seniors ne fonctionnent pas comme ceux des juniors. En plus de cela, nous interagissons de plus en plus avec des formes d’intelligences artificielles comme les algorithmes et les robots. Or, la formidable plasticité de notre cerveau a tout de même des limites, même si elles ne sont pas toutes connues et même si elles diffèrent entre les individus. Mon rôle consiste à dégager les facteurs cognitifs et adaptatifs universels. En termes de créativité, de sociabilité et d’innovation, ces derniers s’appliquent aux groupes les plus adaptatifs, quelles que soient les entreprises, les sociétés et les espèces. Aller à l’encontre de cela touche à l’éthique.
Source : business.lesechos.fr
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