CDP, RCU… Les nouveaux acronymes pullulent dans la relation client. Mais le postulat de base reste toujours le même : passer d’une vision product centric à une approche client centric.
Un père de famille passe un savon au directeur de l’enseigne américaine Target, coupable d’avoir inondé sa fille de bons de réduction pour des produits… destinés aux futures mamans. Penaud, il reviendra s’excuser quelques jours plus tard, sa fille s’avérant bel et bien enceinte. L’anecdote, réelle, s’est déroulée il y a quelques années aux Etats-Unis et est devenue un cas d’école en marketing. Se basant sur une liste de vingt-cinq produits que les femmes enceintes sont le plus susceptibles d’acheter, jusqu’à pouvoir développer un « score de prévisibilité de grossesse », Target savait, à quelques jours près, à quel stade de sa grossesse la jeune fille se trouvait. Ancien, l’épisode annonce l’avenir de la relation entre les marques et leurs consommateurs, quand la marque anticipe les besoins de ses clients, à renfort d’algorithmes de machine learning qui moulinent la data récoltée sur tous les éventuels points de contact – site Web, application, email et même point de vente physique.
Contact relationship management
Nous n’en sommes toutefois aujourd’hui qu’au tout début du scénario et l’essentiel des marques peine à mettre en place les infrastructures qui leur permettront d’être omniscientes. Au cœur de cette nouvelle matrice, le métier du CRM – customer relationship management – se réinvente et en profite pour élargir son périmètre d’action. « L’enjeu pour les entreprises, ce n’est plus simplement de gérer la relation avec leurs clients mais avec leurs contacts », explique Yan Claeyssen. Pour le patron de Publicis ETO, l’acronyme CRM embrasse désormais une autre signification, le « C » de client devenant le « C » de contact. Dans cette dernière catégorie figurent toutes les typologies de consommateurs : le suspect, qui se résume souvent à un cookie anonymisé qui a effectué sa première visite sur le site de la marque, le prospect, qui a lui pris le temps de remplir un premier formulaire de prise de contact (une demande de test en concession pour une marque automobile, par exemple), le client, qu’il s’agit de continuer à fidéliser via des actions push en emailing ou sur les réseaux sociaux et, enfin, l’ambassadeur, qui est lui tellement converti qu’il n’hésite pas à se faire le porte-voix de la marque. Cette préoccupation du contact client confine aujourd’hui à l’obsession. « On le voit dans les briefs que l’on reçoit où les termes de client centric ou customer journey sont prépondérants », note Stéphane Clousier, dirigeant de l’agence Castor et Pollux. Il remarque également que « la plupart des responsables commerciaux se transforment en client success manager sur LinkedIn ».
« On le voit dans les briefs que l’on reçoit où les termes de client centric ou customer journey sont prépondérants »
Derrière tous ces glissements sémantiques se cache une mutation plus profonde de la structure d’entreprise et une explosion des silos. « Tout doit être piloté au sein d’un même département », déclare Yan Claeyssen. C’est le cas chez Renault Europe où une direction du PRM et CRM a été créée pour réunir deux business units qui doivent désormais agir de concert. Un moyen pour le fabricant automobile de prendre ce nouveau virage et de passer, selon Gaëlle Le Grouiec, directrice marketing et communication de Renault Europe, « d’un marketing du produit à un marketing d’audience à qui on pousse un produit. »
L’enjeu : être capable d’adresser les différents publics en Europe dans le cadre d’une prise de parole de marque, tout en se basant sur un socle commun unique. Cela donne une pub TV Twingo qui se décline en une centaine d’assets digitaux pour coller au plus près du parcours d’achat du consommateur. Ou un lancement très ciblé des trois modèles de crossover du groupe – Captur, Kadjar et Koleos – pour lesquels l’audience européenne du constructeur a été divisée en plusieurs clusters établis selon trois dimensions : le socio-démo, la sensibilité à la marque et les centres d’intérêts. Chaque cluster se voyant alors proposer des contenus dédiés et adaptés à ses attentes. Les résultats communiqués par Renault sont éloquents avec une hausse de 20 % des taux de clic sur les bannières et une intention de prospects d’en savoir plus qui grimpe de 20 points.
RCU, CDP et big data
Entre cette vision 360 du client et la réalité, il y a toutefois encore souvent un gouffre, avec des technologies qui ne parlent pas toujours le même langage et des bases de données parfois impossibles à réconcilier. Pour être capable de séquencer une campagne de marque au sein de différents canaux d’activation, encore faut-il réussir à connecter ces derniers à une même source de données. Pas évident pour des entreprises qui comptent souvent autant de bases de données que de business units. « Il y a en ce moment énormément d’appels d’offres pour constituer des référentiels clients uniques qui permettent d’avoir une vision unifiée et exhaustive de l’individu », confie l’un des fondateurs de la société de conseil Sutter Mills, Olivier Mazeron.
Ce référentiel client unique (ou RCU) est le plus souvent hébergé au sein d’un autre acronyme, la CDP, pour customer data platform. Cette dernière est l’abri central de toutes les données qu’une marque détient sur ses consommateurs pour alimenter au mieux son discours multicanal, qu’il s’agisse de l’achat média ou d’autres leviers comme l’emailing, les réseaux sociaux… De quoi permettre aux marques d’activer leurs données navigationnelles en emailing, là où la DMP est, elle, essentiellement connectée au média.
« On injecte toute la donnée que l’on trouve, notamment tout ce qui a trait au produit et à la supply chain »
Mais le chantier data des marques va, à en croire Ricardo Catalano, partner chez Artefact, encore plus loin. « Les projets big data sur lesquels on planche désormais dépassent le marketing dans la mesure où on injecte toute la donnée que l’on trouve, notamment tout ce qui a trait au produit et à la supply chain. » Il s’agit, comme chez Renault, de passer d’une approche product centric à une approche client centric. « Une entreprise brick and mortar pourra, par exemple, identifier des typologies de produits que les clients peinent à trouver en point de vente – ce qui génère de l’insatisfaction – et optimiser la gestion des stocks en conséquence. »
L’arrivée du numérique a décloisonné la structure de l’entreprise en même temps que ses points de ventes. Les marques ont cessé d’opposer e-commerce et points de vente physiques pour que ces deux interfaces avec le client se nourrissent mutuellement. Ricardo Catalano donne l’exemple d’un gros acteur du secteur de l’hôtellerie où les données Web du consommateur (parcours de navigation, transactions…) sont couplées aux données de son programme de fidélité et de l’application, s’il l’utilise. « De sorte qu’un client qui est féru de cuisine asiatique se verra proposer une réservation de ce type à son arrivée dans le lobby. » Les cloisons entre le « on » et le « off » tombent. « Pour nos clients de la banque – assurance et retail, on travaille sur des projets de dashboards ultra synthétiques pour appuyer le conseiller en point de vente. Ce dernier a accès à toutes les informations récoltées et on augmente sa valeur de recommandation », poursuit Ricardo Catalano.
La marque de prêt-à-porter Maje a dévoilé en janvier dernier une application mobile en ce sens, qui nourrit chaque vendeur d’informations relatives au consommateur qu’il est en train de servir (ses achats en ligne précédents, l’existence et la composition d’un éventuel panier d’achat sur le site de Maje, ses préférences en termes de moyen de paiement…). L’application offre aussi la possibilité aux équipes de Maje de connaître l’état des réserves de l’e-store et des magasins à proximité afin d’éviter les ruptures de stock et de limiter l’importance de l’approvisionnement dans les plus petits magasins.
L’IA au service du CRM
Difficile enfin d’évoquer la révolution du CRM sans mentionner l’IA. D’après Salesforce, 62% des entreprises utiliseront des technologies d’intelligence artificielle en 2018, qu’elles s’appellent Watson chez IBM, Cortana pour Microsoft, DeepMind pour Google, Siri pour Apple ou encore Einstein de Salesforce… Il est toutefois, à en croire Ricardo Catalano, difficile de parler de révolution tant ces outils s’inscrivent dans la continuité de ces dernières années. « Sur le fond, il n’y a rien de nouveau. Un acteur comme Amazon alimente sa recommandation de produits à coup de machine learning depuis 2006. Mais le phénomène s’est accéléré depuis deux ans à mesure que les capacités de calcul ont été décuplées, permettant à la machine de travailler sur de multiples parcours clients. » Sur ce sujet et de l’avis de tous nos experts, les pure players ont une longueur d’avance sur les grands groupes.
Reste qu’un annonceur comme Renault s’est déjà doté d’outils qui lui permettent d’industrialiser son CRM et de réduire de 20 à 30% le temps de lancement des campagnes, selon Yan Claeyssen. « La démocratisation de ces outils va permettre aux marketeurs de dégager une grande partie du temps qu’ils consacraient à des tâches très fastidieuses », se réjouit le patron de Publicis ETO. Des solutions comme celles des deux Français Influans et Tinyclues s’inscrivent dans cette logique. Le premier se charge de gérer la diffusion des campagnes CRM en fonction des objectifs marketing édictés par le marketeur. Le second vous demande quel produit vous voulez pousser et se charge de trouver vos consommateurs les plus appétents. Dans les deux cas, les taux de conversion grimpent.
« On est encore très loin de la maturité du marché de la publicité programmatique sur ce sujet-là. »
Attention toutefois, prévient Gaëlle Le Grouiec, à ne pas succomber aux discours commerciaux de certains fournisseurs de solutions. « On est encore très loin de la maturité du marché de la publicité programmatique sur ce sujet-là. »
Pas encore d’IA chez Thomas Cook non plus mais bel et bien du machine learning avec la solution de scoring en temps réel d’Ignition qui permet au voyagiste de tracker le comportement de navigation des visiteurs du site. « Cela nous permet de deviner les attentes d’un nouvel arrivant, en partant du principe quelles seront identiques à celle d’un client avec lequel il partage le même comportement de navigation », explique le directeur du digital du groupe, Hervé Witasse. Du « look alike »en somme. « L’enjeu c’est de réussir à s’approcher des taux de conversion bien plus élevés du point de vente physique. » Pas évident quand on sait combien une visite en magasin est plus engageante qu’une visite de site Web. D’où l’importance pour l’e-commerçant de proposer une expérience de navigation et une offre commerciale la plus en phase possible avec les attentes du prospect.
L’IA s’avèrera d’une aide précieuse dans cette perspective. « Le marketing sera augmenté par l’IA mais sans doute pas autonome grâce à l’IA », assure Yan Claeyssen. « Bien évidemment la part de l’humain se réduira au fil du temps en faveur de celle du chatbot car ce dernier aura accès à plus d’historique et plus de puissance de calcul », poursuit Ricardo Catalano. Et ce même si certaines missions échapperont toujours aux chatbots de Messenger. « L’IA n’est pas capable d’appréhender les éléments irrationnels et je vois mal un bot gérer correctement un conflit », commente Ricardo Catalano.
Il suffit de regarder le cas Orange Bank où Djingo, le conseiller virtuel qui tourne à l’intelligence artificielle de Watson, est obligé de passer la main à des conseillers en chair et en os pour les questions les plus complexes. Un choix décidé en amont par l’opérateur pour éviter d’irriter encore plus le client. « Le taux d’incompréhension est de 15% actuellement. ll peut y avoir une reformulation mais nous passons la main assez rapidement à un conseiller », précisait le directeur général d’Orange Bank, André Coisne, à l’époque du lancement. Le conseiller bancaire a donc encore de beaux jours devant lui, quoi qu’en pense le PDG d’Orange, Stéphane Richard, lorsqu’il fait valoir que « Watson ne fait pas le pont ni les 35 heures. » « On aura beau avoir toute l’IA que l’on veut, on aura toujours besoin de l’humain et de la capacité de réassurance d’un conseiller pour apporter de la chaleur », abonde Hervé Witasse.
« Le RGPD est une formidable opportunité pour les marques »
À chaque bon scénario son rebondissement et c’est peu dire que l’entrée en vigueur du règlement sur la protection des données européennes (RGPD), le 25 mai, a été aussi inattendue qu’impactante pour des marques qui s’affairent depuis plusieurs mois à repenser leur processus de collecte et traitement de la data. Un passage obligé pour être en conformité avec ce texte qui de l’aveu de Yan Claeyssen peut néanmoins constituer « une formidable opportunité pour les marques », partant du principe qu’un client libre a plus de valeur qu’un client captif. C’est dans ce contexte que la plateforme Faktor a vu le jour. Ce projet hollandais, proche de la mouvance VRM (vendor relationship management) veut redonner au consommateur la main sur la relation qui le lie aux marques côté data. Le tout via une plateforme au sein de laquelle il décide ce qu’il est disposé à partager. Plutôt que de deviner les intentions des consommateurs à partir de systèmes de plus en plus complexes et intrusifs, les entreprises pourraient en prendre connaissance à la source, de manière non ambiguë.
« On arrose encore aujourd’hui beaucoup en média. Si cette ouverture des données est correctement gérée ce sera du win-win », estime d’ailleurs Gaëlle Le Grouiec. Pour figurer dans les petits papiers du consommateur, les marques devront toutefois plus que jamais lui offrir quelque chose en retour. « Les gens ne vont communiquer leurs données que si le bénéfice est clairement exprimé, estime Ricardo Catalano. Il peut être pécunier, comme du cashback, ou serviciel en enrichissant, voire améliorant la vie, du consommateur. » C’est le (faible) prix à payer pour continuer à être pertinent et donc audible.
Source : Adtech News (JDN et CB News)
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