Les entreprises font face à de profonds changements, le marché évolue toujours plus rapidement, les outils de travail peuvent devenir obsolètes avant même d’avoir été complètement adoptés, les technologies ou l’intelligence artificielle viennent bousculer certains métiers et questionnent la place de chacun… dans ce contexte de bouleversement et d’incertitude, il devient nécessaire d’encourager l’adaptabilité. En effet, peu de personnes savent à quoi ressemblera leur quotidien de travail dans 5, 10, ou 15 ans. La question de l’apprentissage se pose alors aujourd’hui en termes de capacité à changer, à s’adapter, à acquérir rapidement de nouvelles connaissances et maîtriser de nouvelles compétences, en somme avoir la capacité d’apprendre. Apprendre devient donc une compétence clé à part entière, un soft skill indispensable aux collaborateurs de demain.
Or si notre environnement, et en particulier les contextes de travail, se sont transformés ces dernières années, notre cerveau lui n’a pas évolué et il semble opportun de rappeler comment notre cerveau apprend. Quels sont les piliers de l’appropriation des connaissances et des compétences, pour permettre de faire face à ces nouveaux enjeux de transformation ?
Brown & Roediger, deux chercheurs américains en sciences cognitives, mettent en évidence qu’il existe des facteurs fondamentaux à l’apprentissage efficace, et que ces fondamentaux sont universels, dans le sens où ils sont communs à chaque individu, et quelque soit le type d’apprentissage (1). Stanislas Dehaene, chercheur en sciences cognitives au collège de France, présente ces fondamentaux sous la forme de 4 piliers essentiels permettant une montée en compétence durable.
L’attention comme un point de départ à la mémorisation
Contrairement à ce que nous fait croire notre cerveau, nous ne pouvons porter notre attention que sur un nombre limité d’informations à chaque instant. Or, pour apprendre, la première étape est bel et bien d’écouter et non d’entendre, de regarder et non de voir, autrement dit, d’être attentif pour prendre pleinement conscience des informations à mémoriser.
Et pourtant, lorsque nous sommes complètement attentifs, cela ne suffit pas toujours à apprendre. En effet, le respect des 4 piliers est nécessaire pour favoriser une mémorisation efficace et pérenne !
L’engagement, un effort nécessaire
Face à une vidéo ou un Mooc qui sait capter notre attention, on peut parfois avoir le sentiment de tout comprendre, et de tout retenir. Or notre cerveau n’apprend pas lorsque nous recevons passivement les informations. Il est nécessaire de s’engager dans l’apprentissage, car activer sa mémoire à long-terme permet que l’information y soit stockée. Par exemple, lorsqu’on nous raconte une anecdote qui vient s’appuyer sur notre imaginaire, lorsqu’on nous interroge sur nos connaissances préalables ou qu’on se questionne sur l’information présentée, ou encore lorsqu’on est face à une situation où nous devons résoudre un problème par nous-même, tout cela nous engage et pré-active notre mémoire (2). Cet effort investi, cet engagement, est incontournable pour un apprentissage efficace. Aujourd’hui, la tendance est à rendre l’apprentissage toujours plus ludique et facile, mais il ne faut pas oublier qu’une certaine difficulté, bien calibrée et au service de l’apprenant, est incontournable. Certaines plateformes, reposant sur ces piliers fondamentaux, s’appliquent désormais à mettre cette difficulté désirable au cœur de leur méthode pour permettre une vraie montée en compétence.
Le droit à l’erreur et l’importance du feedback : l’essence même de l’apprentissage
Que ce soit sous forme de test, d’évaluation, de mise en situation ou de résolution de problème, le fait d’être face à une question ou une situation que l’on doit résoudre par nous-même nous permet de mobiliser nos connaissances et compétences. Cette mobilisation a deux vertus. La première est de consolider nos connaissances préalables ou nouvellement acquises. L’importance du test est sous-estimée, car très peu de personnes savent que se tester participe activement à l’apprentissage, au delà du simple fait de savoir ce que l’on sait et ce qu’il nous reste à apprendre. Se tester permet de faire ce qu’on appelle “l’effort de rappel”, c’est à dire aller chercher, sans aucune aide ou indice, l’information dans notre mémoire. Ce processus renforce dans notre cerveau les chemins pour y accéder, et l’information devient alors davantage accessible (3). La seconde vertu est que la correction ou le feedback sont bien plus efficaces lorsque cet effort de rappel a été fait au préalable. Et en particulier s’il y a eu des erreurs ! (4) Si l’on se trompe en répondant à une question ou en tentant de résoudre un problème, notre cerveau intègre qu’il a fait une erreur de prédiction grâce à cette correction et peut réajuster sa représentation interne, nos connaissances, nos raisonnements. Il est donc essentiel de revaloriser l’essais et l’erreur comme partie intégrante de tout apprentissage.
L’ancrage : quand il faut se laisser le temps d’oublier.
Si l’on souhaite consolider son apprentissage sur le long terme, rien ne sert de se presser. Il vaut mieux découper son apprentissage en plusieurs fois que de tout apprendre d’un coup. En effet, répartir l’apprentissage permet de contrer le phénomène d’oubli, qui a lieu naturellement avec le temps, pour tout type de connaissance ou compétence. Par exemple, si on s’accorde 3h sur un sujet, mieux vaut apprendre en 3 sessions de 1h qu’en une seule session de 3h. Pour le même temps d’apprentissage total, l’efficacité de mémorisation sera décuplée. Et comment répartir les sessions pour atteindre ce résultat ? Tout dépend de votre objectif : si vous souhaitez maîtriser une compétence à court terme, vous pouvez rapprocher les sessions sur quelques jours (le sommeil ayant un rôle crucial dans la consolidation); mais si vous souhaitez vous en rappeler dans 3 ou 6 mois, il vaut mieux laisser plusieurs jours voire semaine entre chaque session (5). Ce dernier pilier n’est pas le plus simple à mettre en place, notamment parce qu’il peut être frustrant de devoir se replonger plusieurs fois sur la même thématique avant de la maîtriser; mais cet étalement est indispensable à un ancrage durable de l’apprentissage.
Et pour ceux qui seraient inquiets vis à vis de leur capacité à apprendre, les neurosciences nous apprennent que notre cerveau est plastique et l’apprentissage dure non seulement tout au long de la vie, mais plus on apprend, plus on est capable d’apprendre (6) !
La formation professionnelle aujourd’hui peut prendre plein de formes différentes, comme apprendre sur le tas ou à son poste de travail, rester curieux et saisir spontanément les occasions d’explorer de nouveaux concepts, outils et méthodes; ou encore échanger entre pairs et accepter de changer. Il n’en reste pas moins que le respect de ces piliers fondamentaux doit rester au cœur de l’apprentissage pour que celui-ci reste efficace, qu’importe la forme qu’il revêt. Le rôle de l’entreprise est alors de créer les conditions nécessaires au respect des différents piliers pour accompagner leur collaborateurs vers une montée en compétence durable et renouvelable.
Références
1. P. C. Brown, M. A. McDaniel, H. L. Roediger, Make it stick: the science of successful learning (Belknap Press of Harvard Univ. Press, 2014).
2. M. M. Bradley, V. D. Costa, V. Ferrari, M. Codispoti, J. R. Fitzsimmons, P. J. Lang, Imaging distributed and massed repetitions of natural scenes: spontaneous retrieval and maintenance., Hum. Brain Mapp.36, 1381–92 (2015).
3. H. L. Roediger, J. D. Karpicke, Test-enhanced learning: taking memory tests improves long-term retention., Psychol. Sci. 17, 249–55 (2006).
4. J. Metcalfe, Learning from Errors, Annu. Rev. Psychol.68, 465–489 (2017).
5. C. D. Smith, D. Scarf, Spacing Repetitions Over Long Timescales: A Review and a Reconsolidation Explanation., Front. Psychol.8, 962 (2017).
6. H. W. Mahncke, A. Bronstone, M. M. Merzenich, in Progress in Brain Research, (2006), vol. 157, pp. 81–109.
Source : usinenouvelle.com
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