Pourquoi certains de nos choix semblent-ils poussés par l’envie d’explorer l’inconnu ? Une équipe Inserm de l’École normale supérieure menée par Valentin Wyart, lauréat d’une bourse ERC en 2017, vient de montrer qu’une grande partie de ces choix n’est pas motivée par la curiosité, mais par des erreurs résultant des mécanismes cérébraux impliqués dans l’évaluation de nos options. Ces résultats ont été publiés dans Nature Neuroscience.
Où aller dîner ce soir : choisir son restaurant favori ou essayer un nouvel endroit ? Pour quelle destination opter pour ses prochaines vacances : la maison familiale que l’on connait par cœur ou une location à l’autre bout du monde ? Lorsque nous devons faire un choix entre plusieurs options, nos décisions ne se dirigent pas toujours vers l’option la plus sûre en se fondant sur nos expériences passées. Cette variabilité caractéristique des décisions humaines est le plus souvent décrite comme de la curiosité : nos choix seraient le reflet d’un compromis entre exploiter des options connues et explorer d’autres options aux issues plus incertaines. La curiosité serait même un attribut de l’intelligence humaine, source de créativité et de découvertes inattendues. Cette interprétation repose sur une hypothèse très forte, quoique rarement mentionnée explicitement, selon laquelle nous évaluons nos options sans jamais faire d’erreur.
Une équipe de recherche de l’Inserm du Laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles (LNC2) financée par le Conseil européen de la recherche (ERC) a voulu tester cette hypothèse implicite sur laquelle reposent de nombreux résultats. Les chercheurs soupçonnaient que notre capacité à évaluer nos options et à les réviser était largement surestimée, sur la base de résultats publiés en 2016 dans Neuron :
« L’un d’entre nous avait montré que notre capacité à faire le bon choix sur la base d’indices partiels est limitée par des erreurs de raisonnement au moment de combiner ces indices, et non par des hésitations au moment du choix. Nous nous sommes donc demandé si ces erreurs de raisonnement pouvaient être responsables d’une partie des choix considérés comme relevant de la curiosité par les théories actuelles. »
Pour étayer leurs soupçons, les chercheurs ont étudié le comportement d’une centaine de personnes dans un jeu de machines à sous qui consistait à choisir entre deux symboles associés à des récompenses incertaines. Ils ont analysé le comportement des participants à l’aide d’un nouveau modèle théorique tenant compte d’erreurs d’évaluation des symboles développé par Charles Findling, post-doctorant dans l’équipe et co-premier signataire de l’article.
Les chercheurs ont ainsi découvert que plus de la moitié des choix habituellement considérés comme relevant de la curiosité était en réalité due à des erreurs d’évaluation. « Ce résultat est important, car il implique que de nombreux choix vers l’inconnu le sont à notre insu, sans que nous en ayons conscience » explique Valentin Wyart, directeur de l’équipe.
« Nos participants ont l’impression de choisir le meilleur symbole et non pas le plus incertain, mais ils le font sur la base de mauvaises informations résultant d’erreurs de raisonnement. »
Les participants ont joué à un jeu de machine à sous qui consistait à choisir entre deux symboles associés à des récompenses incertaines. Dans cet exemple, le participant doit choisir entre le symbole de gauche qui lui a rapporté de l’argent dans les essais précédents, et le symbole de droite qui n’a pas été essayé récemment et dont le résultat est donc plus incertain. Les théories actuelles décrivent ce genre de choix comme le reflet d’un compromis entre exploiter des options connues (dans cet exemple, choisir le symbole de gauche) et explorer d’autres options plus incertaines (choisir le symbole de droite).
Pour comprendre d’où viennent ces erreurs, les chercheurs ont enregistré l’activité cérébrale d’une partie des participants en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Ils ont découvert que l’activité du cortex cingulaire antérieur, une région impliquée dans la prise de décision, fluctuait avec les erreurs d’évaluation des participants. Plus l’activité de cette région était grande au moment de l’évaluation des options, plus les erreurs d’évaluation étaient importantes. Pour Vasilisa Skvortsova, post-doctorante et co-première signataire de l’article, « ces erreurs d’évaluation pourraient être régulées via le cortex cingulaire antérieur par le système neuromodulateur de la noradrénaline, en contrôlant la précision des opérations mentales effectuées par le cerveau ». Autrement dit, notre cerveau utiliserait ses propres erreurs pour produire des choix vers l’inconnu, sans s’appuyer sur notre curiosité. « C’est une vision radicalement différente des théories actuelles qui considèrent ces erreurs comme négligeables », insiste Valentin Wyart.
Les chercheurs ont enregistré l’activité cérébrale des participants en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Ils ont découvert que les régions cérébrales qui s’activent lorsque les participants explorent des symboles incertains (en jaune) sont les mêmes qui s’activent lorsque les participants commettent des erreurs de raisonnement. Les régions cérébrales affichées sont le cortex cingulaire antérieur dorsal (dACC), le cortex dorsolatéral préfrontal (dlPFC), le cortex frontopolaire (FPC) et le cortex ventromédial préfrontal (vmPFC).
Si ces résultats peuvent paraître surprenants, le sont-ils vraiment ? De nombreuses découvertes majeures sont le résultat d’erreurs de raisonnement : la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, qui croit avoir atteint les « indes orientales » – une erreur de navigation de 10 000 km, mais aussi la découverte de la radioactivité par Henri Becquerel, qui pense initialement que les radiations émises par l’uranium sont dues à la réémission de l’énergie solaire, ou encore la découverte du pacemaker par John Hopps en essayant de traiter l’hypothermie à l’aide d’une fréquence radio. En allant plus loin, « l’évolution des espèces repose elle aussi sur des variations aléatoires du génome, autrement dit des erreurs génétiques, dont certaines sont conservées par sélection naturelle », rappelle Valentin Wyart. Il n’y aurait donc en fait rien d’étonnant à ce que notre cerveau tire parti de ses erreurs pour sortir des sentiers battus.
Source : presse.inserm.fr/des-erreurs-a-lorigine-de-la-creativite-de-lesprit-humain/37108/
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