Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de prendre une décision, seulement une façon de trancher adaptée ou non à une situation donnée à un instant T.
« Je suis fier de prendre le moins de décisions possibles au cours d’un trimestre. Parfois, je peux passer un trimestre entier sans prendre une seule décision », déclarait ainsi crânement Reed Hastings, le P-DG de Netflix depuis 1998, lors d’une conférence TED à Vancouver. A priori, drôle de manière de conduire le processus décisionnel en entreprise. Pourtant, cette attitude et cette façon de prendre (ou plutôt de ne pas prendre) les décisions porte un nom : l’ « avoidant decision making », que nous pourrions traduire par « stratégie d’évitement ». Un tel mode de prise de décision peut paraître irresponsable, voire absurde, mais il repose en réalité sur des principes clairs, des ambitions calculées, et n’a pas manqué pas de faire ses preuves. En termes de satisfaction des collaborateurs, Netflix caracole régulièrement en tête des grandes entreprises de la tech. Responsabilisation des acteurs, liberté et bien-être des salariés… Autant d’aspirations qui guident Reed Hastings dans sa manière de manager et de concevoir son rôle de décideur. A la clé, une culture d’entreprise radicalement différente de ce qui peut se faire ailleurs.
Sans décision, rien n’est possible
En la matière, l’idée reçue la plus répandue est en effet la suivante : le rôle du manager est de prendre la meilleure décision et celui des collaborateurs est de faire en sorte de l’appliquer. Une caricature de la gouvernance presque grotesque. Ce serait oublier la complexité et la pluralité des différents modes de prise de décision qui s’offrent à un groupe ou à une équipe, et dont témoigne la politique managériale de Reed Hastings.
On peut ne pas aimer prendre des décisions, on peut ne pas apprécier la manière dont celles-ci sont élaborées, mais prendre des décisions demeure fondamental et incontournable dans une entreprise comme dans toute organisation. Sans décision, rien n’est possible. Dès lors, décider comment décider devient une question centrale, si ce n’est la seule et unique question. La culture d’entreprise n’en sera ensuite qu’un des multiples reflets. Voici différents processus de prise de décision que vous pourriez tenter d’appliquer ou d’expérimenter dans votre équipe.
Comment décider ?
1. La prise de décision autocratique. Décider seul, sans demander l’avis de personne. C’est le cliché du dirigeant tout puissant. Il s’agit évidemment d’un processus très rapide, qui peut être très efficace. Mais, comme personne ne peut raisonnablement prétendre être omniscient, le risque de passer à côté d’une information décisive est réel. En outre, décider en se passant des autres peut, à terme, menacer l’implication et le bien-être des autres membres du groupe ou de l’équipe.
2. La prise de décision par délégation. Il s’agit de déléguer telle ou telle décision à un des membres du groupe. Déléguer permet de gagner du temps et de se concentrer sur les décisions réellement essentielles. Sans compter que la personne qui est choisie pour décider gagne en général en motivation. Mais déléguer peut aussi se révéler chronophage, car les choses ne seront jamais exécutées exactement comme prévues.
3. La prise de décision consultative. Sans lâcher la main sur la décision finale, celui ou celle qui décide choisit de demander à un certain nombre de personnes de participer à l’élaboration de ladite décision. Une technique qui permet de recueillir un maximum de points de vue avant d’entériner son choix et qui peut aussi avoir une influence positive sur ceux qui sont mis dans la boucle. Attention, ceux qui restent sur le carreau peuvent se sentir exclus et, sur le long terme, le manque de transparence risque de nuire à la culture d’entreprise et à l’esprit du groupe.
4. La prise de décision démocratique. Le pouvoir décisionnel va à la majorité par le biais d’un système de vote, à la manière des pionniers de la Grèce antique ! Considéré comme transparent et juste, le processus suscite un certain respect au sein des équipes. Mais la démocratie dans un groupe rencontre in fine les mêmes limites que dans une société : vulnérabilité au lobbying interne, risque de mépris ou d’oubli de la minorité, manque d’implication des « perdants », etc.
5. La prise de décision par consensus. Il s’agit de l’un des modes de prise de décision les plus longs et les plus laborieux mais, en matière d’horizontalité, il est difficile de rivaliser. Tout le monde dans le groupe doit participer à faire émerger la décision et à la façonner peu à peu jusqu’à ce qu’un consensus soit atteint, satisfaisant pour chacun (ainsi que peuvent le faire certaines entreprises scandianves, comme par exemple Lars Rebien Sørensen, ancien P-DG de Novo Nordisk : « J’ai un style de leadership scandinave, axé sur la recherche d’un consensus »). Le principe est d’inclure toutes les perspectives, tous les besoins, puis d’obtenir toutes les permissions. Le processus est certes laborieux, mais il permet d’impliquer au maximum les parties prenantes. Ce mode de prise de décision a déjà fait des émules, notamment parmi les syndicats, qui ont longtemps opté pour ce processus collégial.
6. La prise de décision par consentement. On entend en général par consentement l’absence d’objection majeure. Mais, contrairement au consensus, la méthode du consentement ne laisse pas la possibilité aux parties prenantes de retoucher indéfiniment à la décision en question, l’idée étant d’obtenir l’accord rapide du groupe quant à une décision qui paraît, a minima, suffisamment bonne à chacun. Ici, le processus gagne en rapidité, là où il perd en termes de collaboration et d’égalité. En résulte tout de même un équilibre réel dans la répartition du pouvoir au sein du groupe, mais aussi une implication renforcée des parties prenantes. C’est notamment pour ces raisons que cette manière de décider ensemble a séduit le mouvement sociocratique, et irrigue les textes de l’un de ses maîtres à penser, Gerard Endenburg.
Ces trois dernières formes de gouvernance, plus partagées, plus horizontales et plus inclusives, ne sont toutefois pas toujours évidentes à mettre en place. C’est ce dont s’est rendu compte Mathieu Castaings, fondateur de Finacoop, une structure d’experts à destination de l’ESS. Au moment de faire grandir son équipe, de 8 à 15 collaborateurs, la prise de décision collective s’est avérée beaucoup plus compliquée. Et ce, notamment en raison de certaines réticences individuelles (sentiment de collaboration imposée, perte de repères dans la prise de décision, besoin – souvent très ancré – d’avoir quelqu’un au-dessus de soi…).
7. La prise de décision stochastique. Pourquoi ne pas imaginer jouer telle ou telle décision aux dés ou à pile ou face ? Cette méthode, qui repose sur le hasard, n’est certainement pas la plus utilisée, mais peut aussi être intéressante. Rapide et simple, elle peut par exemple dans le cadre de décisions dont toutes les conséquences possibles sont clairement comprises et apparaissent équivalentes entre elles. Faute de critères sérieux pour se décider, pourquoi ne pas s’en remettre au hasard ? Son aspect ludique est certainement la principale force de ce mode de prise de décision.
En réalité, cette liste pourrait être sans fin. Chacun est libre d’innover. C’est ce qu’a fait la Scop Semawe, à Grenoble, dont l’activité se concentre sur la visibilité en ligne et la gestion de l’e-réputation, avec « le trio de décision ». Partant du constat qu’il pouvait être trop lent de prendre les décisions de manière totalement collégiales, la société a imaginé un système reposant sur un trio, dont un des membres est systématiquement extérieur au projet concerné. A la clé, des prises décisions qui demeurent partagées et inclusives, mais qui gagnent en rapidité.
Quel que soit le mode de prise de décision retenu, l’essentiel est de rester souple et de conserver un goût pour l’expérimentation. En effet, tous ne peuvent s’appliquer de manière optimale et efficace qu’à certaines situations. Alors pourquoi ne pas adapter le processus au contexte d’une partie de l’entreprise et accepter de facto sa dimension hybride dans les organisations de dimension significative ? Choisir, c’est renoncer, dit-on. Pourquoi ne pas faire le pari que choisir, ce serait aussi expérimenter ?
Source : Article proposé par Luc Bretones, président de l’Institut G9+ (un think tank créé en 1995 dans le domaine du numérique) et organisateur de l’événement “The NextGen Enterprise Summit”.
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