La révolution data est en marche. En jeu, pour la relation client : mieux connaître ses clients – sans être intrusif – et personnaliser ses interactions. Mais l’exploitation de la donnée suppose un changement de mentalités, de technologies… et d’organisations.
Qui n’a jamais rêvé de choisir le passager assis à ses côtés pour partager un vol long ou moyen-courrier – et ses centres d’intérêt ? KLM, la Royal Dutch Airlines, a fait du « rêve » une réalité : sous le nom de « Meet & Seat », la compagnie aérienne propose aux voyageurs d’accéder aux données du profil Facebook, Google+ ou LinkedIn d’autres clients, plusieurs jours avant le départ du vol, tout en partageant les leurs. Et, donc, de choisir leur siège selon leurs affinités avec les autres utilisateurs. Résultat, grâce à l’exploitation des data sociales : une expérience client de haut vol.
Posts sur les réseaux sociaux, mais aussi visites de sites web, ouvertures de newsletters, interactions avec le SAV ou encore utilisations d’objets connectés : à l’heure du digital, les marques se doivent de composer avec une pléthore de données « numériques » produites par les consommateurs – et qui s’ajoutent aux data liées aux caractéristiques clients déjà intégrées aux programmes de CRM relationnel. « Ces sources d’information représentent des traces à analyser afin de savoir qui est le client, explique Lucette Gaillard, chief marketing officer de Coheris, éditeur de solution CRM et de customer intelligence, mais également, et ce notamment avec les objets connectés, quelle est sa façon de vivre. »
Garder le cap client
Chatbot, réseaux sociaux, objets connectés, mobiles… « Si les données arrivent de toute part, la collecte doit néanmoins avoir un but ultime : satisfaire le client », prône Lucette Gaillard. Ainsi, pour ne pas se noyer dans l’océan de data, les marques doivent garder le cap client, en s’interrogeant sur le type de données à sélectionner pour obtenir une vision d’ensemble de celui-ci. Hélène Assir, consultante senior connaissance client et data mining chez Coheris, recommande « d’effectuer un inventaire des données en sa possession et d’établir un plan stratégique pour aborder la data sous un angle business ». En plus d’un audit des sources d’information en amont, il s’agit de « collaborer avec les métiers pour être davantage pertinents dans la récolte des données par rapport aux objectifs définis par ces derniers », préconise également Yan Claeyssen, directeur général de Publicis ETO.
La data, pour « simplifier la vie du client »…
La Poste avec ses quelque 11 millions de visiteurs uniques sur son site web et ses 3 millions d’interactions client en bureau de poste par an, fait figure de bon élève de la révolution data. L’enjeu, explique Thomas Ravera, directeur de la stratégie connaissance client du groupe, « au vu des volumes de données, est de simplifier la relation entre le client et La Poste ».
Pour ce faire, l’entreprise a commencé, il y a plus d’un an, la mise en oeuvre d’un référentiel client, afin d’alimenter une base de données unique – via un identifiant unique, un ID sur le Web. « La Poste dispose ainsi d’une vision à 360° du client, et ce dernier a la possibilité d’accéder, sur un espace client, à l’ensemble de ses informations consolidées quel que soit le canal avec lequel il est entré en contact avec notre marque », témoigne Thomas Ravera. Simplicité pour l’utilisateur, et connaissance pour l’entreprise. Avec un vrai changement de mentalités : « Dans un bureau de poste, lors du retrait d’une instance, l’information demandée n’est autre que son numéro, glisse le guide de la connaissance client. Prochainement, il suffira au client de donner son nom et son prénom pour que le chargé de clientèle puisse visualiser ses instances en attente. Cela permettra de davantage personnaliser l’accueil… mais aussi les offres proposées. » La simplification de la relation client se traduit aussi par le déploiement de nouveaux services, tel que le choix de son créneau de livraison privilégié ou la possibilité de réceptionner son colis dans son lieu de préférence.
Océan de data, gare à la noyade
Pour récolter l’or noir « data », matière première de la connaissance client, chaque action des clients sur le Web se doit d’être « traquée ». » Les outils de Web Analytics, par exemple, offrent aux marques l’opportunité de découvrir les mots-clés les plus utilisés par les internautes afin d’accéder à la page d’accueil de leurs sites ou, également, de détecter la source de leur visite, à l’instar d’un clic sur une bannière « , relève Yan Claeyssen, directeur général de Publicis ETO, la data driven agency du groupe Publicis.
Parmi les bonnes pratiques techniques s’ajoutent notamment, selon le spécialiste, du screening social (du filtrage) pour récolter des verbatims sur les réseaux sociaux, la mise en place de clusters pour repérer les sujets qui montent sur les différents canaux, ou encore l’enrichissement de sa base de données par de l’open data. Attention néanmoins, prévient Alain Bouveret, directeur général d’Eloquant, éditeur SaaS d’une solution logicielle d’écoute et de dialogue pour la relation client, au principe de protection des données personnelles : « Les entreprises ont la possibilité de placer des cookies sur le Web, mais pas de récupérer des données individuelles si la personne n’est pas loguée sur son compte client. »
Un levier de personnalisation
Récolter de la data, oui, mais pour quoi faire ? À l’instar de la démarche adoptée par La Poste, la personnalisation fait bel et bien l’unanimité. « L’enjeu du digital est de retrouver une relation de proximité avec ses clients », analyse Alain Bouveret, le directeur général d’Eloquant. « Les individus doivent se sentir reconnus », renchérit-il, convaincu que « toutes les données sont bonnes à condition d’être bien utilisées ». Stéphane Martis, head of data & analytics France d’Experian Marketing Services, abonde en ce sens : « Les consommateurs sont à la recherche d’une relation personnalisée avec la marque. Il est important pour eux de se sentir considérés comme des clients privilégiés dans les offres proposées, et de ne pas s’entendre dire : ‘c’est une bonne offre, je la propose à tout le monde.' »
Pour réussir, encore faut-il que la relation client s’appuie sur un historique de ses interactions avec le client et de l’activité de celui-ci. Le géant de l’e-commerce Amazon, et le dépôt de son brevet de « livraison prédictive » en 2014, fait office d’exemple à suivre dans le domaine. En fonction des articles consultés par l’internaute, de l’historique de ses commandes, ou encore du temps passé par le curseur de la souris sur l’image d’un produit, le pure player anticipe les commandes futures de l’utilisateur. Et se paye le luxe d’acheminer les produits vers son entrepôt, avant même le passage de la commande, réduisant ainsi le délai de livraison. « Le prédictif, c’est-à-dire comprendre les actions passées pour prévoir celles futures est un enjeu fort pour les marques, commente Stéphane Martis, qui doivent s’appuyer sur des données tierces pour enrichir leur connaissance. »
À la Société Générale, l’enjeu n’est pas de trouver de la data, mais de la diffuser
Qui connaît mieux son client qu’un banquier? Salaire, situation familiale, âge, projets… « Partager de l’intimité avec nos clients sans se montrer intrusif est notre rôle, explique Antoine Pichot, codirecteur de la stratégie, du digital et de la relation client de Société Générale, et la gestion de la donnée fait partie de notre corps de métier depuis toujours. »
Mais les enjeux changent. La relation ne s’incarne plus, selon le professionnel, dans une dimension client / conseiller, mais dans une relation client / banque. Ainsi, la collecte d’informations n’est plus l’apanage de l’agent bancaire : celle-ci se disperse aux différents points de contacts, créant l’obligation d’un partage de la connaissance client aux centres d’appels et autres réseaux sociaux.
Pour réussir sa « datalisation » – le pendant de la digitalisation -, les interactions entre métiers s’avèrent primordiales. Pour preuve, » les équipes des études clients et celles du big data font partie de mon département « , témoigne le directeur de la stratégie, du digital et de la relation client. Les community managers (CM) sont, quant à eux, « pluggés » sur les agences : ainsi, lorsqu’un CM reçoit le message d’un client via les médias sociaux, celui-ci le transmet immédiatement au réseau, et le client est rappelé dans les 30 minutes par son conseiller. » L’enjeu est moins d’aller trouver de la data que de la diffuser auprès de l’ensemble des acteurs de Société Générale, prône Antoine Pichot.
L’information n’a d’intérêt que lorsqu’elle parvient dans les mains du collaborateur qui en a l’usage. « Du bon sens pas toujours aisé à mettre en pratique. »
La data, le levier antisilo ?
Pour autant, impossible d’espérer imiter le quatrième membre des GAFA sans une organisation désilotée. Or, les baronnies règnent encore dans les entreprises, poursuit Alain Bouveret, et il n’est pas rare de voir la coexistence de deux systèmes d’information dans une même structure : « Le marketing, comme la relation client, ne partage pas forcément ses données. L’émergence des postes de chief data officer vise à remettre de l’ordre dans les organisations pour obtenir, in fine, une vision unifiée des clients. » La data serait elle ainsi le meilleur remède aux silos ? « Le chief data officer est de fait un intermédiaire entre l’IT et les métiers », confirme Lucette Gaillard, CMO de Coheris. Éric Dadian, président de l’AFRC, poursuit : « Nous voyons émerger de nouveaux métiers dans les organisations, tels que les community managers, les data scientists ou encore des spécialistes du design thinking. »
Retour sur une entreprise, Orange, qui a bien compris l’importance d’une communication – et d’une coopération – efficace entre ses services pour faire parler les données silotées. Bénédicte Liénard, directrice de la stratégie relation client d’Orange France grand public, et Guillaume Guyard, directeur marketing data & digital d’Orange France, parlent d’une même voix des données collectées et des possibilités induites pour la connaissance client. « Les équipes marketing, SI et relation client travaillent aujourd’hui au quotidien pour croiser leurs regards sur les enjeux de la data au service du client, explique Bénédicte Liénard, quand, il y a peu, les métiers ne voyaient pas les opportunités d’une telle proximité. »
Initiée il y a presque deux ans par la direction générale, la démarche se traduit par un rapprochement physique des équipes relation client et marketing, mais pas seulement. Guillaume Guyard explique : « Sur notre plateau, un espace est dédié aux équipes pluridisciplinaires – data miners, responsables SI, marketing et relation client. Celles-ci travaillent ensemble, en mode « Lab », sur un projet de parcours client (comme un déménagement), afin de qualifier et de certifier les data et de raccourcir les délais de compréhension des besoins clients. » Le désilotage passe aussi par la technologie. « L’enjeu du silotage organisationnel et culturel des données est lié à des structures techniques héritées du passé, complète Bénédicte Liénard. Il faut dépasser les schémas établis et les faire converger dans des infrastructures nouvelles telles que des data management platforms ou des data lakes. » Une posture qui passe aussi par le déploiement d’outils tels que la datavisualisation, afin de rendre la donnée analysable par tous.
Au sein d’Orange, le travail collaboratif des équipes se traduit par différents projets. Celui baptisé « Sauvons les Livebox », initié en 2014, consiste à mixer les données météorologiques à ses données client géolocalisées afin d’anticiper les tempêtes et le foudroiement qui peut avoir des conséquences fatales sur les équipements. Un message demandant de débrancher la Livebox est ainsi envoyé à chacun des clients pouvant être touché par la foudre. Résultats de la démarche d’analyse prédictive, pour la première année : 92% de clients satisfaits ; 35 000 Livebox sauvées et 8000 échangées et un gain de 2,8 millions d’euros. Un bel exemple d’intelligence de la data au service du client.
Publié le 05/04/2017 par Floriane Salgues - relationclientmag.fr
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