L’émergence de nouvelles formes de travail, liées au développement de l’économie collaborative ou des plateformes du type Uber, oblige à repenser les schémas classiques d’organisation du travail. Et donc le code du travail lui-même.
En raison du problème endémique du chômage, la majorité des réformes successives du droit du travail a été engagée avec l’ambition de créer de l’emploi. Créer des aides à l’emploi, jouer sur la durée du travail, diminuer les charges sociales, réduire la protection du salarié, faciliter le licenciement économique n’ont pas encore produit les effets escomptés.
Le projet de loi travail dont une des finalités est une fois encore de relancer l’emploi, utilise les mêmes vieilles recettes pour réformer l’existant sans prendre en compte, sinon à la marge, le développement ou l’émergence de nouvelles organisations du travail liées au développement d’activités économiques issues du numérique qui remettent en question la notion de travail et semblent être un vivier d’emploi.
Le télétravail générerait, chaque année, près de 10 milliards de gain pour l’économie française
Malgré le scepticisme lié aux déboires de l’économie « ubérisée », le rapport Mc Kinsey (« Accélérer la mutation numérique des entreprise : un gisement de croissance et de compétitivité pour la France ») constate qu’en 2013 la valeur ajoutée du numérique ramenée au PIB français s’est élevée à 5,5%, soit 113 milliards d’euros. En termes d’emplois directs, cela correspond à 3,3% de la population active et de manière quasi-équivalente à des emplois indirects ou induits.
Première expression du numérique dans le travail, le télétravail concerne, selon les sources, de 10 à 16 % des travailleurs effectuant au moins huit heures par mois. Une étude de 2014 estime que deux jours de télétravail par semaine généreraient un gain de 9,8 milliards d’euros par an pour l’économie française – soit 0,5 % du PIB.
Au-delà des chiffres, le numérique a permis l’émergence d’un nouveau schéma économique, l’économie collaborative, qui selon certaines sources pèserait 20 milliards d’euros dans le monde et pourrait atteindre les 90 milliards d’euros en 2025, et de son avatar, « l’économie à la demande », selon le modèle Uber, favorisant l’apparition de nouvelles formes d’organisation du travail qui nécessite une importante main d’œuvre flexible. Ces nouvelles organisations soulèvent la question du statut juridique des parties prenantes.
Un cadre juridique en décalage avec la réalité
S’agissant du télétravail, il est encadré depuis 2012 par une règlementation a minima qui privilégie le schéma traditionnel du contrat de travail. Pour ce qui est de l’économie à la demande, la question est en revanche loin d’être tranchée. Si elle bouleverse les schémas traditionnels d’organisation du travail, en instaurant une relation de travail qui est un mélange d’autonomie et de subordination, le cadre juridique proposé ne correspond pas à cette nouvelle réalité.
Le partenaire de la plateforme numérique est invité à adopter le statut de travailleur indépendant, ou de société. Mais cette solution ne prend en compte qu’un aspect, l’autonomie de la relation, créant une insécurité pour les deux parties. En effet, « certains travailleurs indépendants, du fait de leur très forte dépendance économique, se trouvent de facto dans une situation proche du lien de subordination sans bénéficier de la protection du salariat » (« Transformation numérique et vie au travail », rapport Mettling, La Documentation Française).
Or le juge, appliquant un principe de réalité, apprécie l’existence d’un lien de subordination et, à l’exemple du juge californien sanctionnant Uber, peut requalifier la relation en contrat de travail en s’appuyant notamment sur le degré de dépendance économique. Le corollaire de cette requalification est, pour l’entreprise, le versement de dommages et intérêts, voire une condamnation pour travail dissimulé.
Créer un nouveau statut ?
Réguler ces nouveaux modes de fonctionnement en s’accrochant à la vision classique du salariat comme forme générale de la relation de travail ne peut que susciter chez l’entreprise l’envie d’en contourner les contraintes et la précarisation du travailleur malgré le risque de sanction qu’elle encourt. Introduire des règles distinctes et adaptées, ayant pour fonction de sécuriser ces nouvelles activités, n’est pas un frein à la flexibilité. Au contraire.
Dès 2008, le rapport sur le travail économiquement dépendant, dit rapport Antonmattei-Sciberras, préconisait la création d’un troisième statut situé entre le statut indépendant et le statut salarié, dotant le travailleur économiquement dépendant d’une protection juridique particulière.
Quant à lui, le rapport Mettling, suggère dans sa préconisation 17 de « clarifier les situations respectives de salarié et de travailleur ». En effet, « au-delà de la définition traditionnelle du travail salarié restant pertinente pour l’immense majorité d’entre eux, les nouvelles formes d’activité hors salariat conduisent à réfléchir à un élargissement de ce concept en s’appuyant sur de nouveaux indices, lesquels seraient issus d’une appréciation plus économique que juridique. »
Peur de remettre en cause les modèles existants
Pour réactualiser la notion de travail, il faut cesser de multiplier les « dispositions particulières à certaines professions et activités » énoncées dans le code du travail ou les règles spécifiques aux formes innovantes de travail tel que le portage salarial, les coopératives d’activité et d’emploi, pour créer un cadre général qui tienne compte de l’hétérogénéité des organisations qui « se situent aux frontières de l’emploi indépendant et de l’emploi salarié ».
L’absence de règles novatrices pour les nouvelles organisations du travail traduit sans doute une certaine peur de remettre en cause des modèles économiques existants. Or, nous n’avons pas le choix, il faudra réussir à dépasser.
Chronique de Olivier Prades - Irdeic
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