« Le parcours des travailleurs ne sera plus lisse »
Interview de Jacques-Antoine Malarewicz de novembre 2015
Par Isabelle Hennebelle, L'Expansion
Pour Jacques-Antoine Malarewicz, la capacité à diversifier ses compétences va devenir essentielle pour qui veut rester dans la course. Une rupture avec l’idée de progression de carrière sur laquelle repose l’entreprise classique.
Le délitement du CDI implique de modifier son rapport au monde du travail qui se dessine. Le point avec Jacques-Antoine Malarewicz, psychiatre et auteur de « Comment faire pour être un mauvais manager (et ne pas fonder de start-up) » (Pearson, à paraître en avril 2016).
L’érosion du sacro-saint CDI entraîne une mutation des règles du jeu dans le monde du travail. Quelles nouvelles compétences doit-on développer pour rester dans la course ?
Il faut changer ses paramètres internes, ni pus ni moins ! Le CDI a longtemps défini – et définit encore souvent – l’identité de nombre de cadres de plus de 40 ans. L’érosion du CDI est accentuée par la fin de la frontière entre vie privée et vie professionnelle, due à l’omniprésence du numérique, et implique de se réapproprier son identité. Celle-ci va se construire sur la diversité des compétences et des activités et sur la capacité à prendre son destin en main.
Quel va être l’impact des nouveaux modèles comme Uber sur les comportements au travail ?
D’une certaine façon, et même s’ils cassent les modèles de protection sociale gagnés à la force du poignet par les luttes syndicales, les modèles comme Uber contribuent à propulser le citoyen vers l’origine du monde du travail : l’artisanat, l’entreprise familiale. L’auto-entrepreneur en est une version contemporaine. Ces travailleurs indépendants qui cumulent les boulots vont se multiplier. Certes, leur route n’est pas lisse, ils vont se heurter à la judiciarisation de la société. On va assister à une lutte croissante entre les partisans de l’autonomie individuelle et la puissance publique, soucieuse de réguler ces mouvements de fond.
Quelles autres compétences sont nécessaires dans le nouveau monde du travail ?
Pour le meilleur et pour le pire, l’économie collaborative imprègne peu à peu les modèles économiques. Les entreprises de services prennent le dessus sur celles issues du monde industriel. Les structures « classiques » semblent figées, noyées dans les procédures et dans un fonctionnement en silo obsolète. Tout comme leur système fondé sur l’individu, qu’il s’agisse de la gestion de ses compétences, des récompenses monétaires ou non, des modes d’évaluation. Le groupe va devenir plus important que l’individu : c’est la relation qui va compter et la capacité à savoir être en lien avec les autres.
Apprendre à « être en lien » implique de cultiver la souplesse. Pas facile, dans une société ultra-réglementée…
C’est vrai, mais il va bien falloir évoluer pour rester dans la course. Nous sommes dans un contexte d’improvisation constante et de recul de la hiérarchie traditionnelle. A une époque où l’on parle de transversalité, de collaboration, d’agilité, il faut être inventif. Les modèles de management classiques sont dépassés. Pour aller de l’avant, il est besoin de s’inspirer des jeunes. Je travaille beaucoup avec des start-up, qui ont intégré les codes de demain. Un nombre croissant de grandes entreprises l’ont compris et nouent des partenariats avec ces jeunes pousses.
Vous parliez de « paramètres », mais c’est tout notre disque dur qu’il faut changer !
Oui, sans aucun doute. Encore une fois, la vision des jeunes me semble inspirante et lucide. La plupart ont intégré qu’ils ne connaîtront pas la croissance continue, qu’ils ne gagneront pas de plus en plus d’argent, que mettre sur le même rang performance économique, sociale et environnementale n’a rien d’un acte militant, mais est la base des nouveaux business models.
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